Un rapport mené par le cabinet d'expertise indépendant CATEIS s'intéresse à la gestion du personnel de la plateforme de distribution de La Poste, à Villeneuve-d'Ascq. Les conclusions concernant l'AVC de la jeune Emeline, en 2016, sont alarmantes.
C'est un rapport accablant, dans une affaire qui dure depuis bientôt 2 ans. Emeline avait 25 ans en 2016 et travaillait en CDD à La Poste, sur la plateforme de distribution de Villeneuve-d'Ascq. Un matin, elle prévient sa hiérarchie : elle ne se sent pas bien. Ses supérieurs lui disent de venir quand même travailler. "Tu n'a qu'à le faire assis", lui dit-on, tandis que ses collègues l'observent livide, tremblante. Son malaise ne passe pas. Elle va voir son supérieur. On lui répond : "Tu vas finir de mettre en case et de fermer le casier et quand tu auras terminé on appelera les pompiers", rapporte la jeune femme.
En fait, ce jour-là, Emeline a fait un AVC, sur son lieu de travail. Et on lui a demandé de finir son travail avant de prévenir les secours. Le CHSCT (Comité d'Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail) a bien tenté de faire une enquête commune avec la direction, en vain. Le CHSCT extraordinaire "n'a pas abouti à une enquête paritaire effective", indiquent ses membres le 19 février 2016.
Le problème de santé de l'agent n'aurait pas été pris en charge selon les règles habituelles de secourisme
En octobre 2016, les membres du CHSCT décident donc de faire appel à un cabinet indépendant, agréé par le ministère du Travail, pour comprendre comment cette situation a pu se produire et faire en sorte que cela ne se reproduise plus.
Nous avons obtenu une copie de ce document. CATEIS, le cabinet choisi pour faire cette enquête, indique en préambule un "contexte de très hautes tensions sur le plan psychosocial". Avant de décrire une gestion de crise abracadabrante dans cette plateforme emploie 101 salariés et traite le courrier pour une partie de la métropole lilloise.
Un constat, d'abord : le nombre de malaises à La Poste de Villeneuve-d'Ascq a augmenté par rapport à 2015. On en compte 3 en 2016, et "l'accident de la salariée en CDD survenu sur le lieu de travail n'est pas repertorié dans les documents transmis par la direction". Rayée de la liste. Le cabinet d'expertises réalise une longue série d'entretiens avec les employés, analyse les documents fournis par l'administration. Et conclut : "Le problème de santé de l'agent n'aurait pas été pris en charge selon les règles habituelles de secourisme".
Climat délétère et "psycho-terreur"
Pourquoi les secours n'ont-ils pas été appelés immédiatement ? Le rapport décrit d'abord un "climat relationnel très dégradé et délétère où le jugement et la méfiance prennent le pas sur la communication". Autre explication à ce dysfonctionnement : la "pression permanente pour produire coûte que coûte".
Ce climat malsain, en plus d'avoir entravé la prise en charge d'Emeline au moment de son AVC, a aussi eu des conséquences sur les salariés après l'accident. Le rapport évoque notamment le cas de Sébastien Carré, employé de La Poste alors membre du CHSCT. Une grande gueule, comme on dirait sur le terrain, très attaché à défendre ses collègues.
Ce jour-là, il avait été outré de la manière dont le problème d'Emeline avait été ignoré. Il se bat pour la défendre et mettre en lumière les défaillances de sa hiérarchie. S'ensuit une série de "pressions régulières contre Monsieur C.", indique le rapport d'expertise. "La psycho-terreur s'installe", poursuit le rapport.
Le salarié est écarté de ses fonctions. Jusqu'à sa convocation à un conseil de discipline, le 1er septembre 2016. Les conclusions de ce conseil indiquent : "Ce dossier d'accusation n'a aucune base solide, il a été monté et articulé dans le seul but de pouvoir se séparer d'un représentant syndical qui dérange par ses interventions et par son implication aurpès de ses collègues." Sébastien Carré est au bout du rouleau. Il explique que "La Poste veut le tuer".
"L'ensemble des procédés utilisés à l'encontre de Monsieur C. a fait courir sur lui un risque majeur de passage à l'acte, ce constat est fait par la mission d'expertise sur la base de propos désespérés tenus par lui tout au long de l'intervention", conclut le rapport indépendant.
Ceux qui s'opposent
Sébastien Carré n'est pas le seul à avoir subi les conséquences de son engagement. "Un directeur d'établissement a été mis à l'écart de manière brutale et avec des procédés qui présentent d'étranges similitudes avec d'autres "affaires"", indique le rapport. Le directeur en question est nommé à son poste en octobre 2016. Très vite, il alerte sa hiérarchie de la situation alarmante de la plate-forme de Villeneuve-d'Ascq. Il décrit une "situation catastrophique" en octobre, en novembre, puis en janvier, à nouveau. Le 27 février 2017, le directeur est démis de ses fonctions et a interdiction de revenir dans le centre.
"Plusieurs éléments peuvent laisser penser à Monsieur L. que tout a été organisé pour le mettre à l'écart au regard des dysfonctionnements graves qu'il a mis en évidence et des pratiques auxquelles il a voulu mettre fin", indique le rapport d'expertise. "Les agents (y compris le dernier directeur) qui se sont opposés à l'organisation en place ont tous été mis à l'écart à un moment ou à un autre (accusation de harcèlement, sanctions disciplinaires, mutation d'office, licenciement)."
Tout va mieux ?
Suite à la mise à l'écart de ce directeur, Laurence Nourtier est nommée directrice de la plate-forme de Villeneuve-d'Ascq. Contactée par téléphone, la nouvelle directrice est peu diserte quant au rapport d'expertise, qu'elle a pourtant lu. "C'est une photographie passée. Aujourd'hui, l'ambiance est plus sympathique et plus sereine", assure la nouvelle directrice.
La gestion d'un malaise serait-elle différente aujourd'hui ? "Oui. Dès lors que quelqu'un ne se sent pas bien on appelle tout de suite le 15. On ne prend pas de risques". Laurence Nourtier ne fera pas de commentaires sur la situation de son prédécesseur et celle de Sébastien Carré.
la direction Nord de La Poste a déclaré que "depuis les faits, une nouvelle directrice de la plateforme a été nommée et a travaillé avec
le secrétaire du CHSCT sur les sujets relevant de la santé et de la sécurité au travail". "L'établissement a recruté 32 facteurs en CDI et un plan de formation important a été mis en place", ajoute-t-elle.
La plainte d'Emeline B. a été classée sans suite par le parquet de Lille, selon son avocat, Me Loïc Bussy, qui a annoncé à l'AFP son intention de déposer une nouvelle plainte avec constitution de partie civile. L'Assurance maladie n'a par ailleurs pas retenu pour l'AVC la qualification d'accident du travail.